L’école du sexe
L’apprentissage de la sexualité a été, et est encore, une des choses les plus complexes que j’ai rencontrées dans ma vie. Présentée comme une activité de couple, la sexualité est pourtant une activité d’abord solitaire.
Réhabiliter la masturbation féminine
La découverte du corps est abordée de manière très différente selon qu’on parle d’une petite fille ou d’un petit garçon. La masturbation masculine est « encadrée » socialement : on invite le petit garçon à se créer une intimité, on lui explique que « ces choses là ne se font pas en public ». En revanche, la masturbation féminine est encore assez tabou. Chez l’adulte, on commence à peine en parler dans les médias. On voit même, de plus en plus, d’articles traitant de l’orgasme féminin et de sa nature très proche de celui de l’homme¹.
Pour les femmes plus adultes, la littérature sur l’orgasme féminin fait frémir : le point G et l’orgasme vaginal notamment, ont fait et font encore très mal à l’éducation sexuelle des jeunes femmes et aussi des jeunes hommes. Le va-et-vient du sexe masculin devrait suffir, n’est-ce pas, à accéder à l’orgasme ? Et bien non, et comme il n’y a aucune « école du sexe », ces idées reçues perdurent et font très mal à des jeunes femmes qui se sentent anormales de ne pas être comblées par ces « va-et-vient ». Dommage vraiment, quand un peu de fantaisie et d’imagination peuvent si facilement « débloquer » la voie du plaisir².
Le paradoxe du sexe dans les médias
Tous les experts, tous les communiquants s’accordent : le sexe fait vendre. Le sexe est donc omniprésent dans notre espace médiatique, sur internet, dans les publicités (voir cette pub d’ « Envie de Fraise » avec une femme nue, enceinte de photoshop). Les corps, les relations, tout conduit à une perception de soi en décalage avec la « normalité », qui n’est en fait que de la science fiction.
Le traitement réaliste de la sexualité est vécu comme de la pornographie. Les émissions intéressantes sur le sujet sont diffusées en même temps que les films X et érotiques, voire ne sont plus diffusées du tout : j’ai adoré « le sexe en 10 leçons » qui passait sur Teva… A 23h30 ! Et qui n’est plus rediffusée depuis 2010. Quelques sites internet voient le jour, comme le site « Education sexuelle » qui revendique sur la page d’accueil : »La pornographie ne doit plus être le 1er vecteur d’éducation sexuelle des ados ». Le site « Education sensuelle » fait intervenir de nombreux professionnels de santé, dont le très célèbre Christian SPITZ, pédiatre… Mais si, vous le connaissez : c’est « Le Doc », de Lovin’Fun.
Cette émission de radio, que j’ai écoutée comme des millions d’adolescents au début des années 90, était une révolution. Elle permettait à quelques auditeurs de poser des questions sur la sexualité, la « normalité » et à des milliers d’autres d’écouter les réponses, décomplexées, du médecin et de l’animateur. A ma connaissance, cette émission n’a pas d’équivalent aujourd’hui, ni à la télévision ni à la radio. Dommage ? Nous sommes peut-être passés à autre chose avec internet.
Le plaisir (féminin) ça s’apprend
A quand donc une « école du sexe », pour les femmes notamment, qui permette aux femmes d’apprendre leur corps, leur plaisir et leur sexualité ? L’article de Slate à qui j’emprunte le titre de ce chapitre donne quelques pistes pour les femmes à la recherche de leur plaisir : sex toy, gigolos, cours, assistants sexuels… L’important étant de savoir qu’on peut ne pas être seule face à l’absence de plaisir, et que non, ce n’est pas sale ! Mais tout de même, pour un sujet aussi important dans nos vie, on ne peut que regretter la légèreté avec laquelle l’apprentissage du plaisir, notamment féminin, est abordé…
Merci au groupe Sexologie/sexologues de Facebook pour les articles, points de vue et échanges très précieux qui m’ont inspiré cet article
Sources :
¹ Article de Slate : Oui, l’orgasme féminin est mécanique, et alors ?
² L’excellent blog de Jocelyne Robert et cet article : Orgasmologie, orgasmolâtrie, orgasmofolie…
Le livre d’Elisa Brune, La Révolution du plaisir féminin, Editions Odile Jacob, 464 pages, ISBN : 9782738127525
crédit image : Shutterstock
tiphaine dit :
Le 14 juillet 2012 - 17:41
un assistant sexuel? c’est original! mais qu’est-ce que c’est??? jeté un oeil sur l’article de slate mais pas retrouvé ce concept.
Il me semble que la sexualité part avant tout d’une attitude globale de générosité face à la vie : lorsque le comportement des deux partenaires tend à donner à l’autre plutôt que de prendre, alors l’équilibre est là et la sexualité ne peut qu’être harmonieuse, non? en revanche s’il existe un déséquilibre , là surviennent la frustration, l’incompréhension et la révolte de l’égo (« comment cela je ne te satisfais pas avec mon engin!!! »)
Ghislaine dit :
Le 15 juillet 2012 - 14:03
Peut-être que pour certain c’est compliqué de donner… Notamment quand on ne sait pas soi-même ce qui satisfait, ou qu’on ne maîtrise pas assez son corps. L’entrainement est important, et s’il est fait à deux il faut, comme tu dis, beaucoup d’amour pour faire passer l’apprentissage de l’autre avant le plaisir personnel.
Brice dit :
Le 15 juillet 2012 - 09:15
Peut-être la sexualité, des hommes comme des femmes, est-elle « d’abord intime » plutôt que solitaire. Car même seuls nous sommes le plus souvent plusieurs dans les fantasmes masturbatoires – un des sujets les plus profonds, passionnants et tabous de l’activité créatrice de la psyché. Lire à ce sujet l’extraordinaire Livre des Fantasmes de Brett Kahr, résultat de plus de 20 ans d’études sur ce thème à la fois donc très singulier et très pluriel… 😉
Bien entendu, notre société avide de sa propre immensité, perdue dans le tourbillon de l’urbanisation fulgurante et retrouvée dans les arcanes d’Internet et des réseaux sociaux, veut à la fois tout savoir et ne rien révéler. Et aboutit étrangement à tout révéler pour ne plus rien savoir, dans un vaste acte manqué collectif qui aurait plus passionné Jung que Freud. Il nous incombe alors de relier nous-mêmes les fils d’Ariane dispersés de cet immense mode d’emploi de la vie moderne qui n’aura plus jamais de table des matières. Un professeur y est-il tenu, voire même nécessaire ?
De bons Curators – ces fameux conservateurs du musée vivant de notre culture – y œuvrent d’arrache-pied (sans mauvais jeu de mots) comme dans le passionnant site Internet Second Sex. L’anonymat y est le gage de la sincérité, et permet de lever un coin du rideau de satin qui masque le théâtre intime de la sexualité des femmes. Âmes insensibles s’abstenir…
Car le danger de l’école du sexe ne me semble guère différent de celui de l’école de la république, ou l’on apprend finalement tout sauf la république. C’est le risque d’accoucher de l’enfant monstrueux de la massification qui prend alternativement le visage du nivellement par le bas (la sexualité pour les nuls) et des savoirs consensuels (il faut aimer pour amourer). Qui aura le courage d’y ressusciter l’école initiale de la pensée (connais-toi toi même pour découvrir le monde), de révéler que la sexualité nait de la violence et meurt de la tendresse (à commencer par celles que l’on s’accorde à soi-même). Et comment enfin explorer le chemin intime qui mène à l’autre sous le regard de la classe ? Qu’elle soit sociale ou d’âge elle est toujours en lutte.
À l’école du sexe, je préférerai donc toujours l’école buissonnière, qui ne mène certes nulle part mais fait souvent halte ici, avant de reprendre son éternel chemin. Et quelle plus belle escale pourrait-on bien fantasmer ? 😉
Sue dit :
Le 15 juillet 2012 - 11:19
Merci pour cet article !
Je renvoie à un autre, « Psychologie de l’orgasme » paru en août 2008 (!) dans le magazine « Pour la Science ». Cette publication part d’une étude menée sur des femmes traitées à la testostérone (hormone produite par les ovaires et liée à la libido) pour « manque de désir sexuel ». Extrait : « Un an après le début de l’essai [traitement à la testostérone], Marianne avait senti son désir sexuel revenir. La masturbation libérait en elle des sensations érotiques et suscitait des fantasmes sexuels. Elle eut à nouveau envie de faire l’amour avec son mari et éprouva un orgasme pour la première fois depuis trois ans. Quelle efficacité ! » Sauf que la testostérone n’y était pour rien : Marianne était sous placébo. Parler sexualité grâce à l’étude à laquelle elle participait, redécouvrir son corps, furent autant de stimulus qui permirent à Marianne de lever ses inhibitions et donc d’activer son désir sexuel.
Je renvoie également aux travaux du médecin psychiatre, anthropologue, directeur des enseignements de sexologie et sexualité humaine à l’Université Paris Descartes Philippe Brenot. « La masturbation est fondamentale dans la maturation sexuelle. Le sexe n’est pas un instinct mais un apprentissage, qui commence par soi-même, car c’est ce qui fait le moins peur. L’autoérotisme permet d’apprivoiser ses réactions, de s’habituer à l’excitation, au plaisir, à l’orgasme. » (cf. le Sexe, l’homme et l’évolution »)
Interdire aux femmes la masturbation, les discussions sur le sexe, et ce depuis le plus jeune âge quand côté homme, c’est bien mieux toléré, revient finalement à la pratique de l’excision silencieuse. Bonne nouvelle, les femmes n’ont pas de problème d’orgasme/libido/sexualité…mais leur société, certainement.
tiphaine dit :
Le 15 juillet 2012 - 14:44
Dis donc, quelle plume Brice! 😉