Grandeurs du petit-dej
Au cours de mon adolescence, il m’est souvent arrivé de « sauter » le petit déjeuner. La faute principalement à une volonté farouche de prolonger, même pour un petit quart d’heure, la durée de ma nuit. Aujourd’hui, cette perspective me paraît inenvisageable, le petit déjeuner ayant pris une place très importante dans mon « planning » alimentaire. Il me motive à m’extraire du lit, m’accompagne dans la délicate opération du réveil. J’en profite pour écouter les actualités et réfléchir à ma journée à venir. Que je sois seule ou non importe finalement peu. Il est devenu un vrai rituel.
J’ai donc été très intéressée par le hors-série des Cahiers de Nutrition et de Diététique de septembre 2012 qui a pour thème : « Céréales, petit déjeuner et santé ». Plusieurs articles s’intéressent à l’évolution du petit déjeuner en France, et aux enjeux liés à ce repas, qu’ils soient d’ordre nutritionnel ou sociologique.
Un repas boudé par les ados
Faire l’impasse sur le petit déjeuner reste majoritairement le fait des adolescents de 13 à 19 ans : en 2010, 41% d’entre eux ne prenaient pas un petit déjeuner tous les jours. Ils étaient seulement 21% en 2007, ce qui m’a étonné compte tenu de la récurrence des articles mettant en garde contre ce comportement. Seuls 14% des adultes étaient dans cette situation en 2010, et 13% des enfants.
Mais au-delà de ces chiffres, le contenu du petit déjeuner est également intéressant. Le PNNS préconise la présence de trois composantes : un produit céréalier, un produit laitier et un fruit ou jus de fruit. Cette recommandation est loin d’être suivie : c’est seulement le cas pour 19% des enfants, 14% des adolescents et 13% des adultes en 2010. Ce sont les fruits ou les jus de fruits qui passent à la trappe : 2% des petits déjeuners des enfants et ados en contiennent, 3% pour les adultes. Ces derniers semblent toujours attachés au petit déjeuner « à la française », à base de tartines et de boissons chaudes quand les céréales sont plutôt l’apanage des enfants et ados¹.
Petit déj et nutrition
D’autres articles s’interrogent sur les bénéfices du petit déjeuner. En matière de nutrition, de nombreuses études semblent indiquer une association inverse entre sa consommation et la prise de poids mais il est difficile de distinguer l’effet de facteurs confondants. En effet, sauter le petit déjeuner pourrait être la conséquence d’un surpoids ou d’une obésité préexistante. De plus, les personnes qui ont l’habitude de prendre un petit déjeuner ont généralement un mode de vie plus « sain » : ils seraient moins fumeurs ou feraient plus de sport par exemple.
Les effets du petit déjeuner sur le reste de l’alimentation sont eux aussi incertains : il augmenterait la prise énergétique totale journalière mais permettrait de diversifier l’alimentation, diminuerait le grignotage et optimiserait l’adéquation aux apports nutritionnels conseillés². Ainsi, chez les moins de 30 ans, le petit déjeuner couvrirait plus de 20% des apports en fer et en magnésium¹. Mais les scientifiques rappellent que le contenu du petit déjeuner module grandement ses effets et qu’il est donc difficile de généraliser.
Les bénéfices du petit déjeuner touchent également aux capacités cognitives même si à nouveau, l’implication d’autres facteurs, en particulier socio-économiques, ne permet de conclure à un effet de causalité : sensation de plénitude, moindre sensation de fatigue ou performances intellectuelles accrues font partie des effets rapportés par certaines études².
Petit dej et relationnel
Les deux articles traitant des enjeux relationnels du petit déjeuner m’ont beaucoup intéressée. Ce repas n’est pas vraiment considéré comme le plus à même de réunir la famille, comme peut l’être le dîner par exemple. Pour preuve, 44% des adolescents et 46% des adultes prennent leur petit déjeuner seuls le week-end, quand les contraintes horaires de chacun sont supposées être les moins fortes. L’auteur d’un des articles, Jean-Claude Kaufmann, attribue cela au fait que ce repas représente quelque chose de très personnel pour l’individu : il s’agit de « remettre en route toute la machinerie identitaire », au travers d’une sorte de « période de transition ».
Les petites habitudes de chacun le matin, qu’il qualifie de « petites madeleines » nous aident dans cette entreprise. Elles ont quelque chose de rassurant, avant d’entamer une journée qui s’accompagne généralement d’un certain nombre de contraintes³. D’un point de vue éducatif, le petit-déjeuner, de par sa flexibilité et sa moindre « solennité » par rapport aux autres repas, peut être l’occasion de discussions impromptues et ouvertes entre parents et enfants/adolescents. C’est également un repas qui laisse place au « développement de l’autonomie de l’enfant », même si un encadrement doit être conservé, en fonction de l’âge⁴.
Certes, il ne faut pas non plus idéaliser le petit-déjeuner. Le sauter de temps à autre n’est pas grave en soi et ses vertus dépendent aussi de son contenu. Certaines personnes sont en outre incapables de manger le matin et ce n’est pas grave du tout ! Elles peuvent manger un peu plus tard… Mais si on a faim le matin, prendre le temps de manger quelque chose constitue sans nul doute le meilleur moyen de bien commencer sa journée et mérite certainement que l’on programme son réveil une dizaine de minutes plus tôt.
Sources :
¹Pascale Hébel, Comment évoluent les petits déjeuners en France depuis 10 ans ?, Cahiers de nutrition et diététique (2012) 47, S32-S38
²Jean-Michel Lecerf, Petit déjeuner : y a-t-il un avantage nutritionnel ?, Cahiers de nutrition et diététique (2012) 47, S39-S46
³Jean-Claude Kaufmann, Les enjeux relationnels du petit déjeuner : cadrage socio-historique, Cahiers de nutrition et diététique (2012) 47, S47-S52
⁴Stéphane Clerget, Les enjeux relationnels du petit déjeuner : cadrage psychologique, Cahiers de nutrition et diététique (2012) 47, S53-S58
Brice dit :
Le 22 octobre 2012 - 23:09
Passionnant ! Il y a tellement de discours sur ce repas, que l’on craint de voir manipulés par l’industrie céréalière ou récupérés par la sphère du politiquement correct avec tout son cortège d’hypocrisie…
Merci pour cet article, qui me fait réaliser que je reste un peu adolescent pour toutes les fois où je saute le petit-déjeuner, me déculpabilise quand je le prends seul, m’indique ce qu’il faudrait que j’y mange en priorité et… Me donne envie d’en prendre encore plus souvent avec toi le week-end quand nos contraintes horaires respectives nous le permettent !
Et juste pour que je comprenne bien et histoire de relancer un peu le fil des commentaires : les croissants le matin, c’est bien ou c’est pas bien alors ? Parce que, quand même, c’est rudement bon ! ;D
Lunedesable dit :
Le 23 octobre 2012 - 09:38
C’est Justine qui a écrit l’article 😀 ! Mais je suis sure qu’elle serait heureuse de venir prendre un brunch à la maison, n’est-ce pas Justine ?
En ce qui concerne les croissants, pas d’interdit hein ! mais pour le coup, c’est comme le foie gras, c’est exceptionnel : la pâte feuilletée au beurre, c’est gras quand même…
Justine dit :
Le 23 octobre 2012 - 12:39
Je viens quand alors pour le brunch ? 😉
C’est vrai que le petit déjeuner est souvent sacralisé, et c’est bien dommage car il peut être considéré à terme comme un passage obligé et perd alors tous les avantages évoqués dans l’article…
Pour le croissant, en ce qui me concerne, c’est réservé au dimanche !
Je n’ai d’ailleurs jamais bien compris la différence entre « croissant ordinaire » et « croissant au beurre », j’imagine que la quantité de beurre incorporée diffère mais c’est tout de même un peu trompeur…
D’après l’article de Pascale Hébel, les petits déjeuners « festifs » (avec viennoiseries) représentent grosso modo 1/5 des petits déjeuners de la semaine donc cela me semble raisonnable.