Odeurs et souvenirs
C’est une petite villa près de la mer, entourée de pins. Elle m’a vu grandir, tous les étés pendant des années. Et depuis, à chaque fois que je rentre dans une maison un peu humide, l’odeur me rappelle la mer et les vacances.
La mémoire olfactive
La puissance de la mémoire olfactive est frappante, nous interrompant dans nos pensées, notre travail, quand le parfum d’une personne ou d’un plat nous évoque un souvenir. Le mécanisme, dans ce sens là (odeur entraînant souvenir) est relativement connu bien que peu étudié encore. Étonnant, quand on pense que Proust l’évoque déjà au début du XXème siècle avec sa fameuse madeleine, où même quand on pense à l’engouement autour du « marketing olfactif » qui se développe ces dernières années.
Qu’en est-il exactement ? Dans le cerveau, les aires dédiées à l’analyse des signaux odorants (le bulbe olfactif et le cortex piriforme) sont très fortement liée à l’amygdale et l’hippocampe, qui jouent un rôle central dans l’acquisition des souvenirs et la gestion de l’état émotionnel.
L’impact des odeurs sur le comportement n’est pas encore tout à fait évident même si l’influence d’odeurs environnementales est démontrée sur le jugement que nous portons sur certain produits ou nos intentions d’achat. Les chercheurs ne savent notamment pas quelles sont les caractéristiques olfactives à l’origine des changements de comportement.
Les applications de ce domaine de recherche, notamment dans la santé, seraient pourtant incroyables : si l’odeur facilite la mémoire, nous pourrions imaginer des piluliers odorants, la stimulations de patients atteints d’Alzheimer… Si le parfum peut nous amener à changer de comportement, nous pourrions diffuser une odeur de crêpes dans les hôpitaux pour nous y sentir mieux…
Le souvenir des odeurs
Si vous avez fait un peu de sophrologie, vous savez sûrement quel pouvoir ont les souvenirs sur l’état émotionnel : pour diminuer son stress, l’évocation d’un souvenir heureux associé à un contrôle de la respiration m’a paru assez efficace lorsque je l’ai pratiquée. Le problème, c’est que cet état ne dure pas, car les souvenirs s’envolent au moindre dérangement. La pratique est de ce fait recommandée et « plus on s’entraîne mieux ça marche ».
L’impact des odeurs, lui, a apparemment une efficacité qui dure dans le temps. Dans ce cas, si on arrive à se souvenir d’une odeur agréable, ne peut-on pas arriver à un état de relaxation plus durable ? Comme les doudous des enfants, nous pourrions imaginer des réservoirs d’odeurs familières que nous sortirions en cas de bouffée de stress. Adolescente, je demandais souvent à mon petit ami de me prêter un de ses T-shirt en cas d’éloignement prolongé, et ça faisait du bien de sentir son odeur !
L’évocation des odeurs à partir de souvenirs est plus compliquée que le contraire, mais cela s’apprend. Les « nez » des parfumeurs ont développé cette capacité pour créer des parfums : ils peuvent imaginer les odeurs, les disséquer et créer les parfums.
Là aussi, les applications dans la vie de tous les jours pourraient être nombreuses, de l’identification des ingrédients d’un aliment jusqu’à l’auto-stimulation olfactive pour vivre plus sereinement (et ne plus sentir les mauvaises odeurs du métro)… Avez-vous des idées 😉 ?
Merci Anne-Lise !
Références:
La Recherche – Neurobiologie des odeurs
INSERM – Etre nez, ce n’est pas inné
michele dit :
Le 6 juillet 2011 - 08:40
oui, intéressée aussi par ce phénomène. Lu , je ne sais plus où, les travaux actuels sur les patients Alzheimer, pour effectivement restituer , via des odeurs, de la mémoire et du bien-être…Oui, Proust et sa madeleine. Moi, c’est l’odeur des figuiers, au détour d’une ruelle en Espagne qui me bouleverse, parce que s’engouffre dans mon cerveau « là-bas », l »Algérie, ma terre natale et bien- aimée.Ou l’odeur de cette végétation méditerranéenne, après la pluie…Et, en ce qui concerne le sexe, on sait de plus en plus l’importance aussi des odeurs, y compris celles dont on n’a pas conscience (pheromones), et qui peuvent, notamment, expliquer des « coups de foudre ». Des expériences ont été faites aussi sur ces sujets. Souvenons nous de Napoléon, encore Bonaparte, écrivant à Joéphine « Ne te lave pas, j’arrive!.. » (ouais, bof..). Et, pour conclure, quel plaisir de trouver un parfum qui , tout d’un coup, nous « touche », et auquel nous voulons aussitôt nous associer (moi, c’est « l’instant » de Guerlain ). L’idéal, serait un parfum fait rien que pour nous (moi): le mythe évoqué par Susskind, justement dans son extraordinaire « Le parfum » (la boucle est bouclée, puisqu’il s’agit d’un parfum d’âme humaine)
Ghislaine dit :
Le 7 juillet 2011 - 10:15
Les phéromones sont aussi un champ de recherche extraordinaire. Quand j’ai étudié la fonction olfactive à l’école, notre prof nous soutenait qu’elles n’étaient pas actives chez l’homme car nous n’avions pas d’organe « voméro-nasal », l’organe qui permet la réception des phéromones.
Aujourd’hui, nous avons quelques indices de leur impact dans nos vies : les femmes vivant cloîtrées (religieuses ou prisonnières), ont toutes leurs règles en même temps… Bizarre non?
Ca fera surement l’objet d’un billet un de ces quatre. Merci pour ce commentaire qui fait voyager 🙂
tiphaine dit :
Le 6 juillet 2011 - 13:24
pour ma part, ma memoire olfactive n’est pas très développée, vraiment c’est amusant mais ca ne me touche pratiquement pas. en revanche ma mémoire auditive est très forte, et j’ai pu constater à mainte reprises la puissance des ancrages auditifs, notamment par la musique lors de situations particulières.
tiens d’ailleurs, vous connaissez l’effet « cette-musique-que je-peux-plus-supporter-mon-ex-la-passait-à-longueur-de-journée »?
Ghislaine dit :
Le 7 juillet 2011 - 10:18
Complètement ! D’ailleurs pendant quelques temps après une rupture, je ne pouvais plus écouter certaines musiques.
Ça m’a passé, et j’écoute maintenant mes souvenirs avec indulgence et philosophie : qui serais-je aujourd’hui s’il(s) n’avaient pas été là ?
Florence dit :
Le 20 septembre 2011 - 14:52
Ton article me rappelle un souvenir olfactif très présent encore aujourd’hui. Ce souvenir est associé à l’odeur du goudron fraichement déposé.
Il est étonnant de constater que cette odeur douçâtre peu agréable éveille pourtant systématiquement en moi un souvenir heureux : mon premier jour au CP (et oui, cela fait un certain temps !) où j’ai découvert que j’étais dans la même classe que ma meilleure amie (nous nous étions rencontrées le premier jour de maternelle et plus quittées depuis).
Lorsque nous sommes sorties, ravies de ce premier jour passé ensemble parmi les « grands », la chaussée venait juste d’être goudronnée et je revois très précisément tous les détails de cette rue, de la journée ensoleillée et du sourire de nos mères qui nous attendaient devant le portail de l’école.
Ce souvenir me revient à chaque fois que je sens cette odeur, pourtant désagréable pour les autres, associée désormais au sentiment de joie et de légèreté ressenti jour-là…
Ghislaine dit :
Le 20 septembre 2011 - 15:30
Peut-être que l’empreinte de vos pas se sont imprimées dans le bitume ;)… Ton amie a-t-elle aussi cette réminiscence lorsqu’elle sent le goudron ? Ce serait amusant que la même odeur vous rappelle le même souvenir !
Florence dit :
Le 20 septembre 2011 - 15:37
Notre amitié s’est malheureusement quelque peu affaiblie au fil des années et, faute de goudron pour les renforcer, nos relations ont pris un peu de plomb dans l’aile !
Lo dit :
Le 27 novembre 2011 - 13:43
C’est drôle, ce matin même, je suis sortie sur le palier de ma chambre. De la cuisine montait une odeur que j’ai été absolument incapable d’identifier sur le coup : une odeur charnelle, dérangeante, mélange de champignon, de musc et de décomposition. Tellement inconfortable que j’ai refermé la porte de la chambre pour continuer à profiter de cette matinée sans être dérangée dans mes rêveries par cette odeur sur laquelle je n’avais pu mettre un nom.
Connaissant les talents de mon mari de cuisine, je ne pouvais imaginer qu’il ait fait quelque chose de pourri ou de raté. Lorsqu’il est rentré dans la chambre, je lui ai demandé d’où provenait cette odeur : il avait utilisé du jus de morilles qu’il avait fait réduire très fortement pour l’intégrer à une sauce de viande. Les arômes s’étaient tellement concentrés qu’ils avaient une puissance inédite et incongrue que lui-même trouvait désagréable.
Pourtant, lorsqu’il m’a rassuré sur la provenance de cette odeur, je l’ai trouvé immédiatement plus supportable et acceptable. Comme si le fait de pouvoir la contextualiser lui redonnait ses lettres de noblesse. Je me suis dit une fois encore, que notre cerveau faisait une grosse partie du travail pour discriminer les odeurs et par extension les saveurs. J’aurais été au fin fond de la Chine et l’on m’aurait assuré de l’innocuité du plat servi avec une odeur pareille, je ne suis pas certaine que j’y aurais touché !