Le Viagra de la femme
Mauvaise nouvelle pour les femmes : le laboratoire Boehringer abandonne la recherche sur le flibanserin, le Viagra féminin. En cause « la complexité et l’ampleur des questions supplémentaires auxquelles il faudrait répondre pour éventuellement obtenir une autorisation de mise sur le marché » déclare la firme dans un article du Monde du 9 octobre.
La sexualité féminine et en particulier le plaisir féminin sont un mystère que de nombreux sexologues aimeraient percer, mais faute de financement cette recherche n’avance pas. Alors que selon certaines études, 41% des femmes auraient des difficultés à atteindre l’orgasme, cette nouvelle est pour le moins choquante. Voire même révoltante. Comment en est-on arrivé là ?
Pourtant tout avait bien commencé : dans l’antiquité, le plaisir féminin était considéré comme une condition sine qua non de la fécondation. La médecine antique pensait en effet que le sperme de l’homme devait rencontrer celui de la femme pour que la fécondation ait lieu.
Cette croyance a subsisté jusqu’à ce que, au 19ème siècle, la science découvre que l’orgasme féminin et l’ovulation ne sont pas liés. Le siècle des lumières a également été le début du désintérêt des hommes pour le plaisir féminin, jusqu’au milieu du 20ème siècle où le voile commence doucement à se relever.
Kinsey a été le premier à faire une étude des comportements sexuels auprès de 8 000 femmes (1953). Masters et Johnson ont de leur côté étudié l’orgasme féminin d’un point de vue biologique et découvert qu’il n’existe qu’un seul type d’orgasme, lié à l’excitation du clitoris. Ces travaux datent des années 60. Peu de progrès ont été réalisés depuis… Selon le sexologue français Yves Ferroul, les financements de ce domaine sont rares et les chercheurs mal considérés¹.
Les connaissances sur le désir féminin sont également le fruit du travail de nombreux psychanalystes, dont le plus connu, Freud, a émit l’hypothèse selon laquelle il y aurait deux types d’orgasmes, un clitoridien et un vaginal. Ce dernier était considéré comme l’orgasme de la femme mature… Comme il n’existe pas, cela pose quelques questions sur l’image que l’éminent psychanalyste avait de la sexualité féminine !
L’état actuel des connaissances donne une part importante à l’apprentissage du plaisir chez les femmes pour leur permettre d’atteindre l’orgasme. Là où le Viagra rend mécaniquement possible l’érection et donc l’orgasme masculin, l’équivalent féminin suppose une connaissance beaucoup plus complexe des mécanismes chimiques du désir et du plaisir. Pour les femmes, il ne suffit pas de pouvoir…
L’éducation sexuelle aujourd’hui est beaucoup plus complexe que pour les générations précédentes : nous sommes envahis d’images érotiques jusque dans les rues, risquant la rencontre avec un film porno à chaque recherche google ! La multiplication des images à caractère sexuel empêche la naissance des fantasmes, l’apprentissage du désir et l’imagination nécessaire à l’épanouissement sexuel. La sexualité est abordée à l’école sous un angle biologique, mais qui s’occupe de l’autre partie de la sexualité, celle du plaisir et de l’attention à l’autre ?
Le laboratoire Boehringer a abandonné ses recherches parce qu’en fait, le marché n’est peut-être pas vraiment là… Quand l’absence d’érection entraîne l’absence d’acte sexuel, l’absence de plaisir féminin n’a pas forcément d’impact sur la sexualité du couple. La performance n’est pas une préoccupation des femmes, mais des hommes. Ceux là même qui comparent la puissance de leur voiture et la taille de leur… Compte en banque. Sauf Muse évidemment, ce qui explique peut-être leur succès ?
I want to reconcile the violence in your heart
I want to recognize your beauty is not just a mask
I want to exorcise the demons from your past
I want to satisfy the undisclosed desires in your heart
Le plaisir est l’apanage des hommes. Le désir, en revanche, est une affaire de femme. Pas uniquement le désir qu’elles doivent ressentir, mais aussi celui qu’elles doivent susciter. Les journaux féminins font régulièrement des articles sur la peur des femmes de perdre leur sex-appeal. La femme doit être désirable, pour permettre à l’homme d’éprouver du plaisir. C’est sa performance à elle…
Le Viagra au féminin ne s’appellerait-il pas le Botox?
Brice dit :
Le 26 octobre 2010 - 14:45
Je me demande si l’éducation sexuelle est « plus complexe que pour les générations précédentes » ou… autrement complexe. Il y a eu des époques très libérées (du temps de Rabelais) et d’autres moins (du temps de la Reine Victoria). Mais un problème de fond quelle que soit l’époque : qui ?
Les parents ? Heu, non merci. Déjà pour la partie biologique c’est tendu, alors pour l’éducation au plaisir… Les amis ? Ils essaient, et ce n’est pas qu’ils manquent de bonne volonté mais par contre l’expérience n’est pas toujours au rendez-vous. Et si elle l’est (par exemple un ami des parents ou des grands-parents) c’est la prison directe.
L’Église ? Non, je plaisante bien sûr, c’est juste pour publier ce génial poste de l’association Riposte Catholique protestant contre la tenue d’un Salon de l’Érotisme à Bayonne… 😉
L’école ? Je souris intérieurement des réactions de parents, qui protestent quand on met des petits pois aux menus des cantines, s’ils apprenaient qu’il y a eu un cours d’éducation au plaisir sexuel ! Le principe même d’un cours d’éducation sexuelle (oublions momentanément le plaisir) soulève en ce moment une polémique en République Thèque alors même que la Cour européenne a statué sur cette question, suite à un cas similaire au Danemark : le droit d’un enfant à l’éducation sexuelle prévaut sur le droit des familles à l’éducation de leurs enfants – Et là je dis « Vive l’Europe » !
En attendant que les mentalités progressent, beaucoup de jeunes s’éduquent donc par la pornographie comme tu le soulignes, alors que c’est bien souvent l’apprentissage du pire : la sexualité standardisée, brutale, impersonnelle…
Un contre-exemple intéressant : Zenthropa, maison de production du cinéaste Lars Von Trier qui souhaite promouvoir une pornographie non sexiste, scénarisée, esthétique, et respectueuse des femmes (je ne mets pas de lien car en matière d’érotisme tout est dans les préliminaires, alors je vous laisse explorer ! ;D)
La télévision pourrait-elle jouer un rôle ? Malgré (ou grâce à) une réputation puritaine, la Grande Bretagne montre l’exemple en la matière avec l’émission The Sex Education Show sur la chaîne publique Channel 4. Et les concepts de nouvelles émissions passent si vite du monde anglo-saxon au nôtre… 😉
Ghislaine dit :
Le 27 octobre 2010 - 14:01
Ton commentaire me fait penser à une émission incroyable sur Téva : « le sexe en 10 leçons » . Le principe ? Huit couples vont à l’école du sexe, et parlent en toute simplicité de leur sexualité, de leurs problèmes de couple ou de ce qu’ils aiment dans ce domaine. L’émission est très bien faite, à une heure ou seuls les adultes sont censés regarder la télé (après 23h). C’est d’ailleurs presque dommage qu’elle soit si tard, tellement elle est bien faite.
Lucie dit :
Le 26 octobre 2010 - 14:49
Je suis scotchée par votre post.
« La femme doit être désirable, pour permettre à l’homme d’éprouver du plaisir. C’est sa performance à elle… Le Viagra au féminin ne s’appellerait-il pas le Botox? »
Quelle vision machiste ! J’en reste sans voix !
Ghislaine dit :
Le 26 octobre 2010 - 16:08
C’est effectivement une vision très machiste, mais néanmoins celle de notre société aujourd’hui sur les femmes. L’inégalité entre les femmes et les hommes est criante, que ce soit au niveau de l’entreprise ou au niveau sociétal.
L’arrêt de ces recherches traduit bien selon moi l’inégalité de traitement entre homme et femme, mais également un soucis de revendication de la part des femmes : si nous ne clamons pas notre droit au plaisir, qui va le faire pour nous?
Lucie dit :
Le 26 octobre 2010 - 16:23
L’arrêt de ces recherches s’explique avant tout parce que chez les femmes, pour atteindre le plaisir, il n’y a pas que la dimension biologique mais aussi ce qui se passe dans la tête!! Et du coup, pas facile de trouver un Viagra qui aurait un effet sur ce qui se passe dans notre tête ! Ces recherches ne sont pas donc RENTABLES pour les labos.
Il ne faut pas tout confondre !
Votre dernier paragraphe est donc une blague ou vous pensez vraiment que le plaisir pour une femme dépend de sa capacité à se rendre désirable pour un homme ?? (et le plaisir l’apanage de l’homme et vive le botox, etc. )
PS : je partage votre point de vus sur les inégalités dans l’entreprise, mais là n’était pas le débat!
Brice dit :
Le 26 octobre 2010 - 17:36
Voyons lucie… Comment pouvez-vous penser un seul instant que Ghislaine écrive au premier degré « La femme doit être désirable, pour permettre à l’homme d’éprouver du plaisir » ?!? Son dernier paragraphe ne me semble pas être « une blague » mais bel et bien une dénonciation.
Sans ignorer que ce stéréotype est malheureusement partagé par beaucoup de femmes ! « Si tu cherches à renverser un tyran, détruis d’abord le trône qu’il a construit dans ton coeur » écrivait Khalil Gibran. Je trouve la publicité pour Aubade parfaitement « bien sentie » dans ce post d’ailleurs. Tout le monde encense cette campagne de publicité et néanmoins, sur le fond elle creuse la tombe du plaisir féminin.
Plus d’un tiers des femmes affirment qu’elles n’ont jamais eu d’orgasme dans leur vie, alors que moins de 1% ont des causes biologiques qui permettraient (et encore…) de l’expliquer. Ce n’est pas que la bêtise ou l’incompétence des hommes qui est en cause, sinon elles en auraient par elles-mêmes. Que la recherche soit physiologique, chimique ou psychologique – voire sociologique comme le fait Ghislaine dans ce post – je pense que toutes les idées sont utiles pour sortir de cette situation.
Et encore une fois, en vous lisant toutes le deux je pense que Ghislaine et vous partagez le même combat. Et une chose est certaine, elle ne pense pas que le plaisir soit l’apanage de l’homme ! Mais là je n’en dis pas plus, j’ai un devoir de réserve… 😉
Ghislaine dit :
Le 26 octobre 2010 - 20:17
Je suis tout à fait en ligne avec votre constat quant à l’arrêt de la recherche, sur l’idée que ce n’est pas forcément rentable pour les labos pharma.
D’ailleurs, peut-on leur en vouloir d’arrêter la recherche sur un produit pas rentable? Les labos ne sont pas des mécènes ou des fondations. Ce sont des entreprises qui ont un objectif de rentabilité, autrement elles coulent ou sont rachetées par d’autres. Mais comme vous le dites, là n’est pas le débat.
Quand à votre dernière question, non ce n’est pas une blague ni une opinion. C’est un constat.
J’espère ne pas tout confondre en effet, mais pour moi la place des femmes dans la société est une question complexe, qui a autant à voir avec leur rôle professionnel que social, que leur capacité à prendre en charge leur plaisir sexuel.
Désolée de ne pas avoir été assez claire sur ce point dans ce post, je pensais avoir assez mis en avant l’injustice criante dont sont victimes les femmes dans la prise en charge de leurs difficultés à avoir du plaisir. Si ce n’étais pas le cas plus haut j’espère que ça l’est maintenant 🙂
Lucie dit :
Le 27 octobre 2010 - 13:38
« je pensais avoir assez mis en avant l’injustice criante dont sont victimes les femmes dans la prise en charge de leurs difficultés à avoir du plaisir. »
Oh vous savez, je suis une femme et je ne considère pas l’absence d’un Viagra féminin comme une injustice criante…
merci de vos réponses en tout cas
Ghislaine dit :
Le 27 octobre 2010 - 17:32
Peut-être parce que vous avez la chance de ne pas avoir de problèmes à ce niveau là :). Merci à vous de votre lecture attentive 😀
joomli dit :
Le 27 octobre 2010 - 16:12
j’ai éte moi aussi surprise par le dernier paragraphe: la tournure des phrases peut porter a confusion 😉
c’est un debat interessant, cependant je rajouterais : « faut »-il avoir des orgasmes ?
en effet, dans notre société dans laquelle l’intimité s’expose aux yeux de tous que ce soit a la télé ou ans les magazines, l’orgasme est-il une obligation ?
c’est ce que laisse penser ce billet.
Aujourd’hui une sexualité pour se dire « réussie, épanouie » se compte en centimetres, en frequence d’orgasmes, en « au moins 4 fois par semaine », en « tu l’as fait, toi ? », et en pratiques marginales érigées en modeles de l’epanouissement . les enfants eux-memes n’echappent pas a cette pression a la sexualisation et c’est des 11 ans que le vocabulaire et les references pornographiques s’immiscent dans les cours de récré.
Face a cette course a la performance et a cette normalisation forcée et décrétée par les médias, les femmes doivent-elles elles aussi reclamer a cor et a cris le 100% de reussite a l’instar des hommes avec le viagra ?
Un rapport sexuel sans orgasme est-il un rapport sexuel sans plaisir ? ne serait-ce pas une vision un peu « masculine » de la situation ?
Une femme vivant sa sexualité sans orgasme doit-elle etre considérée avec pitié parce qu’elle ne remplit pas les criteres de jouissance obligatoires de notre société ?
Je comprends que pour certains l’anorgasmie puisse etre un probleme (n’oublions pas que les hommes peuvent eux aussi en souffrir, car « erection » et « ejaculation » ne riment pas forcément avec « jouissance ») . Cependant en dehors de probleme d’origine medicale ( je ne sais si cela existe), faut-il regler a coup de pilules un symptome simplement lié a un manque de connaissance de son corps ou une manifestation parfois revelatrice d’un malaise plus profond?
je vais parler pour moi et je reponds : l’orgasme féminin et ses mysteres resistent encore a la norme. Ouf. Il est encore possible de vivre une sexualité a son rythme qui échappe aux diktats énoncés par de bienveillants penseurs.
Quant a savoir si le botox est un activateur de désir, c’est encore une autre question !
Ghislaine dit :
Le 28 octobre 2010 - 10:51
Je me pose les mêmes questions, d’ailleurs le fond du problème est bien là : La société actuelle ne pousse-t-elle pas les femmes à vivre mal leur sexualité, car les modèles proposés à la télé ou dans les magasines ne correspondent pas à leur réalité ? Lorsqu’une femme vit mal sa sexualité,quelles solutions sont disponibles aujourd’hui ? vers qui peut-elle se tourner ?
Ça pourrait faire l’objet d’une étude, car les sources d’informations fiables sur le sujet sont peu nombreuses et assez divergentes…
Brice dit :
Le 29 octobre 2010 - 01:13
Intéressant, et je suis complètement d’accord. En fait, il me semble important que les hommes et les femmes aient un choix en la matière. Pas tant qu’ils s’obligent à des rythmes ou des performances dans leur intimité (ce qui en plus serait probablement incompatible avec l’épanouissement dans ce domaine…), mais qu’ils aient par contre au moins la possibilité d’éprouver et de ressentir le plaisir.
Car une vie sans avoir jamais connu le plaisir sexuel me paraît aussi triste qu’une vie sans avoir vu la mer. On peut s’en passer dans les deux cas, c’est certain. Mais quel dommage…
Après, je ne sais pas vraiment ce que ce « Viagra féminin » devait apporter au juste (ce serait intéressant d’ailleurs que l’auteur de l’article nous éclaire un peu plus à ce sujet !). Mais il semble évident que le plaisir ne peut pas être ramené à la seule chimie et aux médicaments.
Le Viagra des femmes s’appelle l’Amour.
Ghislaine dit :
Le 29 octobre 2010 - 14:51
Je crois que ça fera l’objet d’un autre post, car c’est assez complexe… Heureusement nous avons un grand week-end devant nous 😀