La drogue et la folie
Comme beaucoup de gens, j’ai côtoyé la drogue lorsque j’étais au lycée (et je ne parle pas ici du tabac…). C’était surtout du cannabis ou de l’herbe, parfois des champignons, dans de très rares cas de l’ecstasy. S’il m’arrivait de fumer sur un joint, je n’étais pas du tout attirée par les drogues plus dures. J’avais peur de « rester coincée », bloquée dans un état second.
Il y a quelques mois, un de mes proches a fait une crise psychotique. Il consommait régulièrement du cannabis et avait développé des troubles du comportement qui l’empêchaient de poursuivre normalement ses études. Hier j’ai appris la mort d’un ancien ami du lycée, qui consommait très régulièrement de la drogue et qui lui aussi avait fait une crise au même âge, vers 20 ans. Autour de moi, le lien entre consommation de drogues et pathologie psychiatrique n’est pas juste une statistique. Comment tombe-t-on dans la drogue ? Est-ce que la drogue rend fou ?
La drogue et l’adolescence
Je me suis intéressée très tôt aux effets de la drogue, le premier livre sur le sujet que j’ai lu étant L’Herbe Bleue, puis Moi, Christiane F., droguée, prostituée. Ces deux livres ont influencé mon comportement adolescente, et peut-être beaucoup aidé à « résister » aux drogues. De fait, au lycée, la drogue avait un effet sur mes camarades qui ne me plaisait pas du tout : les yeux creusés, les neurones en berne, et après coup l’irritabilité voire la paranoïa. Je consommais donc très peu de drogue (hormis la cigarette) et m’en tenais donc à l’idée que c’était « mal », sans trop savoir ce qui relevait de la « propagande anti-drogue » et le risque réel auquel s’exposaient les autres.
Selon le Docteur Alain Dervaux¹, la moitié des adolescents aujourd’hui a consommé au moins une fois du cannabis, 5 à 6% des garçons fument des joints tous les jours et 1 à 1,5% de la population adulte est dépendante au cannabis. La consommation de cannabis augmente le risque de développer des maladies psychotiques, et plus la consommation est précoce, plus le risque est élevé : pour la schizophrénie, le pourcentage passe de 1% dans la population générale à 3% chez les fumeurs de cannabis.
La consommation de cette drogue dite « douce » est devenue un tel enjeu de santé publique que l’INPES a lancé la semaine dernière une campagne télévisée pour alerter les parents sur ce problème.
Serge Lebigot, président de l’association Parents contre la drogue, déclare dans un article de Valeurs Actuelles : « 10 % des personnes qui essaient le cannabis développeront une dépendance, et 70 % d’entre elles l’auront développée avant l’âge de 18 ans ». Qu’est-ce qui fait qu’un adolescent, apparemment sans problème, va détruire sa vie avec la drogue ?
Pourquoi se drogue-t-on ?
« Le premier point, essentiel, qu’il faut comprendre est que l’usage de produits toxiques, autorisés ou non, alcool ou drogue, est le symptôme d’un malaise, d’un mal-être de l’ado, une réponse à une souffrance : anxiété, an goisse ou même dépression » explique la psychiatre Sylvie Angel. Si je vois bien la logique du raisonnement, tous les parents devraient se sentir concernés par cette description : l’anxiété et l’angoisse ne sont-elles pas des caractéristiques quasi universelles de l’adolescence ?
Il y aussi une envie de tester ses limites, d’impressionner les autres, liée à la consommation de drogue. Je ne crois pas que j’étais particulièrement morbide, adolescente, mais la mort était une idée qui revenait souvent dans mes réflexions, et c’est le cas je crois de beaucoup d’adolescents. Les comportements à risque sont une manière de pimenter sa vie et de se sentir responsable ou plutôt, aux commandes. Adolescente, la « bonne » décision pouvait me paraître non comme un acte responsable mais plutôt comme du conformisme, un manque de personnalité propre.
Le comportement à risque est également vécu comme une forme d’autonomie par les adultes aussi : il suffit de parler de tabac pour s’en rendre compte. Je n’évoque plus l’arrêt du tabac avec les fumeurs, car ce sujet est vécu comme une ingérence dans leur liberté individuelle. Là où le tabac n’induit pas spécialement de changement dans la perception de la réalité, le cannabis lui entraîne la paranoïa : un cercle vicieux s’installe, le dialogue étant de plus en plus difficile à établir.
Le cannabis rend-il fou ?
Apparemment ce ne serait pas le cannabis qui provoquerait la schizophrénie, mais sa consommation régulière serait un facteur aggravant. Selon un rapport de l’INSERM de 2004, la consommation de cannabis multiplierait par deux le risque de développer une schizophrénie, et plus cette consommation commence tôt et plus le risque est élevé. Le rapport précise tout de même que toutes les personnes qui consomment du cannabis ne deviennent pas schizophrènes.
Il est également rapporté par l’INSERM que la consommation de cannabis avait des effets néfastes sur la pression artérielle et la fréquence cardiaque. Le rapport indique également que « la mise en cause du cannabis dans la survenue des accidents vasculaires coronariens et cérébraux n’est pas actuellement établie par des études épidémiologiques, mais seulement évoquée à travers des études de cas, de plus en plus nombreuses depuis 2001. »
Peut-on s’en sortir ?
Le dialogue est présenté comme la seule manière réellement efficace d’aider les personnes dépendantes. Par des questions ouvertes et bienveillantes, sans jugement, avec la seule envie de comprendre, il permet de les amener à accepter leur état, puis à se soigner. La prise en charge de la dépendance présente donc beaucoup de points communs avec la psychothérapie. D’ailleurs, il est sûrement beaucoup plus facile de faire ce travail avec un psy qu’avec ses parents.
Finalement, le plus dur quand on élève des enfants est de garder ce dialogue ouvert à l’adolescence et de faire passer ces messages avant que la question ne se pose… La lecture de livres sur le sujet, ou les films sont des bons moyens de le faire… Le film Shutter Island est d’ailleurs une oeuvre remarquable sur la folie et la difficulté de sortir d’une réalité pour entrer dans une autre. Peut-être que la vraie façon de sortir de sa folie et de savoir vivre avec ?
Pour plus d’information sur la schizophrénie en particulier, n’hésitez pas à consulter le site Schizosedire, développé par les laboratoires Lilly et très instructif.
J’avais évoqué cette maladie dans un commentaire du billet de Brice « Les Schizos sont-ils tombés sur la tête ? », et notamment mon premier contact réel avec cette maladie, expérience professionnelle de loin la plus marquante pour moi.
¹Cannabis, Cocaïne et troubles psychiques, Pratis.com (site réservé aux professionnels de santé).
Crédit photo : Livzlp
Drogues Info Service dit :
Le 20 décembre 2010 - 14:49
Bonjour !
Bravo pour cet article qui sait mêler à la fois l’expérience personnelle et les données scientifiques. Ce n’est pas si fréquent et c’est intéressant.
Nous retweetons 🙂
Bonne continuation.
E. (Drogues Info Service)
Ghislaine dit :
Le 20 décembre 2010 - 15:17
Merci pour ce commentaire et pour tout votre travail. Bravo à vous !
Brice dit :
Le 20 décembre 2010 - 20:38
Dans Shutter Island, il faut aussi préciser que le personnage de Leonardo di Caprio est confronté à la folie humaine de manière très brutale par deux fois : en libérant le camp de concentration de Dachau (perspective sociétale), puis lorsque sa femme est prise d’une crise de démence et assassine leurs enfants (perspective intime).
Ce point pour dire que nous sommes tous fragiles, à un certain degré, et sensible à la fragilité des autres, comme dans un de ces immenses jeux de dominos qu’une seule pièce peut renverser. Ce qui ne veut pas dire que nous ne soyons pas aussi responsable de notre propre (et très relative) solidité face à cette contagion.
Au-delà du dialogue, préserver l’équilibre psychologique des enfants et des adolescents demande sans doute des limites et des interdits notamment sur les expériences potentiellement traumatisantes. Or ils sont d’autant plus difficiles à maintenir que notre société joue à braver les règles de bon sens pour se faire peur, aux infos comme dans les films.
Nous vivons en paix, dans une société prospère et pourtant nous sommes soumis à des images dures et poignantes à longueur de journée. Pourquoi ne savons-nous pas être en paix avec nous-mêmes ?
Emmanuelle dit :
Le 20 décembre 2010 - 23:17
Merci et Bravo Ghislaine pour ce post que je fais suivre à mon frère …
« Moi, Christiane F, droguée et prostituée » a été mon livre de chevet de longues années, de celui que l’on termine et qu’on recommence immédiatement. Celui qu’on lit quand on n’a pas le moral mais aussi quand on a la pêche.
« L’herbe bleue », « Flash ou le grand voyage » des lectures passionnantes aussi qui, tu as raison, en ont empêché beaucoup de toucher à toutes drogues « dures » de peur d’y prendre goût et d’être piégée, voire meme d’éviter les drogues dites douces qui t’entrainent sounoisement sur une pente tellement glissante.
C’est peut-être ça l’idée, faire lire ces témoignages aux ados pour qu’ils comprennent cet engrenage terrible.
Avec le recul, quel est le plaisir de perdre la maitrise de son corps, de son cerveau?
Bonnes fêtes à vous 2.
Un sirocco parait il innovant;-)
Ghislaine dit :
Le 23 décembre 2010 - 02:39
Je me souviens bien du vent très chaleureux dont la conversation m’a beaucoup intéressé !
Le plaisir de l’ivresse est vraiment paradoxal, je ne sais pas pourquoi nous aimons tant (et surtout nous les Français) perdre le contrôle… J’aime bien faire la fête et être un peu « pompette » :))! Cela permet de prendre du recul, de relativiser, de « lâcher prise ».
Il faudrait peut-être apprendre à faire cela à l’école, des cours de taï chi ou de yoga…
Benjamin dit :
Le 6 mars 2012 - 21:02
Bonjour à tous,
Je suis un consommateur régulier de cannabis depuis l’âge de seize ans, j’en ai 21. Je tiens à saluer la cohérence et la qualité de rédaction de cet article, mais cela reste un témoignage subjectif.
Le cannabis demeure l’un des psychoactifs les moins nocifs, largement derrière l’alcool, le tabac ou les antidépresseurs, selon la classification de l’OMS. Partons de cette base.
Le cannabis ne m’a jamais empêché de décrocher mes diplômes, de trouver un travail, une petite amie ou de m’insérer socialement. Au contraire, cela est même fraternisant et pacificateur, ouvre l’esprit et libère la pensée. C’est même une des raisons pour lesquelles il a été prohibé, les soldats qui en consommaient devenant trop « philosophes » et refusaient de se battre. Et non bourgeois, le cannabis ne rend pas fou, seulement il faut en faire le bon usage, méditatif et récréatif, et ne pas le voir comme une façon de « se défoncer ».
Des articles comme le votre alimentent cette désinformation, cette ignorance qui deviendra peur face à cette plante.
Je ne plaide pas pour sa banalisation, mais j’enrage contre cette perception, pourquoi le titre cet article est il « la drogue et la folie » ?
On parle de cannabis, pas de ces merdes que Servier, Marlboro ou Ricard vous servent avec un tampon du gouvernement !
Brice dit :
Le 6 mars 2012 - 23:06
Bonjour Benjamin,
j’ai lu ton commentaire avec d’autant plus d’intérêt que l’articulation de ta pensée, la qualité de ta syntaxe et l’orthographe irréprochable te ton texte démontrent qu’en effet, tu as dû décrocher tes diplômes et trouver un travail sans grande difficulté. Tu fais partie de la courte élite mondiale qui maîtrise la langue, réfléchit à son propre mode de vie avec une distance raisonnable et s’exprime brillamment pour défendre des convictions à ce sujet… Tout cela en fumant du cannabis depuis l’âge de 16 ans – donc depuis 5 ans. Chapeau !
N’ayant pas retrouvé la classification de l’OMS à laquelle tu fais référence, je serais intéressé d’en avoir un lien ou une référence. Je doute que les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (antidépresseurs les plus prescrits actuellement) présentent un risque de toxicité supérieur à celui du tétrahydrocannabinol. Mais là encore, tu maîtrises ton sujet car ce sont, en effet, dans un cas comme dans l’autre des molécules reconnues pour leur faible toxicité générale sur l’organisme qui n’est d’ailleurs pas le sujet de cet article.
Je me suis simplement demandé, à la fin de ton texte, pourquoi tu « enrages contre cette perception ». La regretter, où ne pas la partager, me sembleraient des positions intellectuelles raisonnablement neutres sur le sujet. « Enrager » montre qu’il y a là pour toi un enjeu personnel et sans doute une blessure identitaire. Ce qui t’emmène à dégrader ton langage par la suite quand tu évoques les « merdes » que « nous » servent Servier, Marlboro ou Ricard. Et en te mettant à part, puisqu’ils ne semblent pas te les servir à toi, tu bascules dans la solitude de l’orgueil.
Tu as certainement déjà affronté l’ignorance et la peur, sinon tu ne les dénoncerais pas avec autant de véhémence. Alors je peux juste te dire ceci : si un jour ton monde bascule et que tu découvres que tu as perdu pied, que le sentiment d’ignorance ou de peur des autres, ton statut d’être à part ou la rage en toi ne te permettent plus de vivre de façon saine et heureuse. Si, en d’autres termes, tu passes de la douleur à la folie, il y aura toujours ici des personnes qui connaissent ce chemin… et celui du retour. N’hésites pas alors à nous recontacter, si tu en as la force. D’ici-là, je te souhaite de retrouver la sérénité sur ce sujet. Ce sera le premier signe positif que ton usage récréatif du cannabis ne t’a en effet pas fait trop de mal…
Ghislaine dit :
Le 6 mars 2012 - 23:09
Merci Benjamin pour ton commentaire. Pour répondre à tes questions, l’article lie « la drogue et la folie » pour les raisons évoquées en introduction. A l’époque où j’ai écrit ce billet, le décès d’un vieil ami d’une part et la crise psychotique d’un proche d’autre part, tous deux consommateurs très réguliers de cannabis, m’ont fait me poser la question du lien entre le cannabis et la folie.
Il s’agit effectivement d’un article qui démarre sur une expérience personnelle, mais tu n’auras pas manqué d’aller voir les sources que je cite, notamment le rapport de l’INSERM… En te répondant je suis également allée voir sur le site de l’OMS, et il est écrit, dans le rapport « Neurosciences : usage de substances psychoactives et dépendances » : « L’exposition de longue durée au cannabis est susceptible d’entraîner un déficit cognitif durable. Il existe également un risque d’exacerbation des maladies mentales. »
Je suis évidemment ouverte à découvrir tes sources, notamment le lien vers le rapport de l’OMS dont tu parles et que je n’ai pas réussi à retrouver, l’étude qui montre que le cannabis est « fraternisant et pacificateur »…
Et je suis d’accord en partie avec ta conclusion : il faudrait interdire la vente de tabac, dont la consommation n’a que des conséquences négatives. Pour l’alcool je suis plus nuancée, mais ce n’est pas le débat ici.
Pour l’industrie pharmaceutique, je suis évidemment pour condamner fermement les pratiques de Servier. Mais je n’oublie pas non plus que c’est grâce à ces industries que nous pouvons aujourd’hui guérir d’un cancer…
Benjamin dit :
Le 7 mars 2012 - 00:19
Re-bonsoir,
En ce qui concerne la classification des psychotropes, plusieurs ont été établies, visibles sur Wikipédia ici :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_des_psychotropes#Classification_de_l.27OMS_.281971.29
En ce qui concerne l’aspect pacificateur, aucune étude à l’appui, simple constat. Sans généraliser, je pense que violences conjugales ou accidents de la route sont plus souvent liés à l’alcool qu’au cannabis.
@Brice : En ce qui concerne la fin de mon message, mon populisme a pris le dessus, c’est souvent le cas en fin de discours, j’aime les sorties dramatiques :). En effet, j’ai souvent été confronté à ces opinions usées, je suis d’un naturel revendicateur et je vois que les choses commencent à bouger à propos du cannabis, les mentalités évoluent et j’essaie donc d’apporter ma pierre à l’édifice, n’y vois aucune souffrance sous-jacente, sauf peut être le fait de devoir vivre illégalement et de devoir enrichir le marché noir.
Brice dit :
Le 7 mars 2012 - 00:51
Quelle belle intelligence ! Ne laisse surtout pas la drogue l’abîmer… 🙂
Plus sérieusement, les mentalités n’évoluent pas dans le sens que tu imagines : le cannabis était très répandu et socialement accepté dans les années 60, et d’usage encore relativement libre – et légal – dans certains pays européens il y a seulement 10 ans. Mais c’est précisément comme le tabac et l’alcool : peu à peu l’évidence est là, sous nos yeux : trop de vies gâchées…
Quand j’avais ton âge, je tenais le même discours que toi. Vingt ans plus tard, j’ai un métier passionnant, une épouse merveilleuse et beaucoup de bonheur à partager. Malheureusement, j’ai aussi un grand nombre d’amis qui ont sombré ou qui sont simplement passé à côté de leur potentiel pour avoir trop longtemps plané sur un nuage de fumée… avant de tomber et de se faire très mal. Et j’ai l’impression d’avoir moi-même échappé à cela par miracle ! Je crois que c’est ce message-là qu’exprime Ghislaine, avec son propre parcours et ses propres amis, plus qu’un réquisitoire de principe. Aucun de nous n’a de « principe » sur ce sujet : il s’agit d’expériences et de tristesse pour la perte d’êtres chers…
Après, les paroles des autres n’ont guère plus de poids que le vent dans les arbres. A chacun de se faire sa propre expérience, mais je suis prêt à parier ma main droite que lorsque tu auras notre âge ta position sur ce sujet sera plus nuancée. D’ici-là, profites bien de ta jeunesse et de ta santé, ce sont deux remparts solides – mais pas indestructibles – face aux avanies auxquelles nous exposent ces drogues que nous prenons « à corps perdu ». Mais penses aussi bien fort à la responsabilité que tu prends envers tous ceux qui se trouveront conforté dans l’usage de la drogue par ton discours et qui pourraient bien le payer beaucoup plus cher que toi. La nature ne nous a pas tous fait égaux en termes de résistance physique et psychologique…